Dans le tome 2 de l'excellente étude de Jacques Vandenbroucke sur la Position Fortifiée de Namur (PFN), l'existence d'un réseau L.100 du Renseignement français créé avant mai 1940 est abordée en page 102 et suivantes.
L'auteur introduit le sujet en partant des accusations de Léon Degrelle (chef de REX et collaborateur notoire) à l'encontre du gouverneur de la Province de Namur en mai 40, à savoir François Bovesse (assassiné par des rexistes en 1944), le dénonçant dans une lettre de novembre 1940 comme étant "
en contact suivi avec ce service étranger (le 2e Bureau français),
fournissant les passeports et les moyens de circulation aux agents chargés de dresser une liste de deux personnes par commune de la province, personne qui guideraient les troupes françaises lors de leur entrée sur le territoire belge."Aucune preuve de cette accusation n'ayant pu être apportée par REX, l'affaire restera sans suites graves. Les recherches de l'auteur de l'étude sur la PFN n'ont pu montrer que Bovesse avait eu des contacts secrets avec l'Armée française en 1940.
En revanche, Jacques Vandenbroucke rapporte que les accusations identiques de Degrelle contre d'autres Belges reposaient bien sur une part de vérité, à savoir que d'anciens membres belges des services de renseignement français durant la 1re Guerre ont repris du service et qu'un réseau français a bien été créé en Belgique avant mai 40. L'existence de ce réseau a été reconnue en 1957, par le général français Rivet, chef du 2e Bureau français avant-guerre avec pour but de "
pouvoir fonctionner au moment de l'invasion de la Belgique par les Allemands. Ce service devait s'étendre de la région nord du Limbourg belge, derrière la Meuse, jusqu'à Maastricht, ensuite longer les frontières hollando-belges et allemandes jusqu'au Grand-Duché de Luxembourg. Il avait pour mission de recueillir et transmettre tous les renseignements sur la nature des troupes ennemies et l'importance de leurs effectifs." L'indicatif du réseau était L.100
Concernant la mission spécifique d'un des intéressés dénoncés par REX, le dénommé Javaux (déjà actif pour le renseignement français en 14-18), il s'agissait de créer des postes d'observation routiers et ferroviaires et de transmettre ces renseignements au 2e Bureau. Le service de renseignement de Javaux aurait fonctionné du 10 au 12 mai (plus de contact avec le 2e Bureau). Javaux partit alors sur ordre de Rivet en France et revint en Belgique en juillet 40. Créant ensuite un réseau de sabotage distinct (le réseau de renseignement ayant été dissous), Javaux lui conserva l'indicatif L.100.
Le réseau L.100 initial aurait été tissé dès 1938. Sur base du nombre d'attestations de reconnaissance remises par le gouvernement français en 1947, il aurait compté 307 agents (il n'est pas précisé si tous ces agents étaient déjà actifs avant mai 40!).
A partir de 1939, le contact français de Javaux fut le capitaine Bernier du poste du 2e Bureau à Lille (ensuite au consulat français de Liège jusqu'en mai 40).
Javaux dirigeait (?) aussi avant mai 40 un réseau séparé de contre-espionnage sur les régions de Liège/Namur/Charleroi.
Le travail de Javaux sera récompensé par la France avec remise de décorations en 1948 (commandeur de la Légion d'honneur et croix de guerre.
Paradoxalement, la Belgique ne reconnut les mérites de Javaux qu'en 1966 après de longues discussions quant au caractère belge ou français du réseau L.100.
Bref l'espionnage français était bien présent en Belgique, pays comportant déjà une forte population de Français et pays comptant de très nombreux francophiles. Comment expliquer alors que les intentions belges dans les Ardennes ou l'état d'avancement des travaux de fortification (dans la trouée de Gembloux ou sur les rives de Meuse) n'ont pas été mieux connus du commandement français?...