Rapport:
10
e Batterie du 78
e R.A. 5
e D.L.C.
Témoignage Lt. VINCENT
Maison forte St-Menges
En partant de Sedan à St-Menges, et ensuite en suivant la D6, on voit à la bifurcation avec la D29 ce qui reste de la Maison forte dite de St-Menges. Ce ne fut pas un balcon. Ce fut une tombe. Une plaquette a été apposée sur cette triste ruine :
« PASSANT RECUEILLE-TOI
Le 12 Mai 1940 sont tombés glorieusement
Au combat pour la défense de la liberté
Le Lieutenant Boulenger
Le Brigadier Collette
Le Pointeur Guilbert
Les Canonniers Bellenou et Gleut
La 10
ème batterie antichars du 78
ème Rg d’artillerie »
Maintenant tout y est calme. Personne ne passe. Il faut essayer de s’imaginer l’activité fébrile qui régnait ce malheureux 12 mai 1940 à cet endroit. Et il faut lire le compte-rendu émouvant de ce qui s’est passé vraiment:
« Réponse à la lettre du 22 Août 1941 de Monsieur le Délégué du Ministre Secrétaire d’Etat à la Guerre, N° 13782 D/CG Réf. 10571/CG | Le Lieutenant VINCENT (Commandant pendant la campagne la 10e Batterie du 78e R.A. 5e D.L.C.) |
| A Monsieur le Délégué du Ministre Secrétaire d’Etat à la Guerre, 16, rue Saint Dominique – PARIS (7°) |
Une opération subie à la suite de mon retour d’Allemagne ne m’a pas permis de répondre plus rapidement à votre demande de renseignements sur les circonstances dans lesquelles l’Aspirant Boulenger, le Brigadier Colette et le M.P. Guilbert sont morts au Champ d’Honneur.
Lors de la formation de la 10° Batterie anti-char du 78° Régiment d’Artillerie (5° Division Légère de Cavalerie), l’Aspirant Boulenger a été volontaire pour servir dans mon unité. Il commandait la 2° Section.
Parti en permission au début Mai, l’alerte du 10 Mai le trouva à Paris. Sautant immédiatement dans le train, il parvint à nous rejoindre le 11 Mai, vers 4 heures du matin, en Belgique, sur la route de Bouillon à Libramont. Il reprit aussitôt le commandement de sa section qui était affectée en protection du P.C. de la 5° D.L.C. (Général Chanoine) Dans la nuit du 11 au 12 Mai il se trouvait avec le P.C. à la sortie du bois sud d’Illy.
Le 12 Mai vers 4 heures le Général Chanoine me donnait l’ordre de prendre la section Boulenger et de la mettre à la disposition du Colonel (Mallet, je crois) qui défendait l’axe St-Meuge – Alle. Pendant que la section sortait de batterie, je me rendis près du Colonel Mallet (?) sur la route de Alle qui me donna les renseignements et ordres suivants :
Des infiltrations se sont produites à travers la Semoy et on craint l’arrivée de chars ennemis, surtout à gauche.
Il existe au carrefour nord de l’IC26 et de l’IC9 (actuellement la D6 et la D29) une maison forte
dont la pièce bat la route de droite (route de Alle) mais ne peut battre la route de gauche (route de Sugny). Cette route de gauche devait être battue par un 25 ; mais il n’a plus de 25 disponible et il faut le remplacer par un 47 « en bouchon ».
J’objecte les inconvénients du « bouchon », l’impossibilité de défendre une pièce anti-char contre des infiltrations de char dans les bois, et je propose de faire un barrage anti-char au débouché sud des bois où les pièces trouveraient de champs de tir appréciables.
Le Colonel me répond que
l’ordre est de défendre la ligne des maisons fortes : qu’il faut placer une pièce en bouchon sur la route de Sugny, mais que la deuxième pièce peut être utilisée en seconde ligne à battre la sortie sud de la forêt. Bien entendu,
lors du repli, des éléments de cavalerie devaient s’organiser autour de la maison forte.
Je transmis ces renseignements et ordres à l’Aspirant Boulenger et effectuai avec lui la reconnaissance.
La Maison Forte (dite de St-Menges) était occupée par quelques hommes. Devant elle le génie mettait la dernière main à un fourneau de mine. A l’est de la Maison Forte, avait été construite une position pour 25 comportant un bouclier de rondin.
Nous décidâmes de mettre une pièce à l’est de la Maison Forte, camouflée aussi bien que possible en lisière du bois pour assurer une couverture immédiate de la route de Sugny et accessoirement de la route de Alle. Plus tard, si on en trouvait le temps, on tâcherait de couvrir une tranchée et de modifier l’emplacement du 25 pour y placer le 47 et bénéficier du bouclier de rondins.
J’allai installer la 2° pièce à la sortie sud de la forêt ; puis retournai voir l’aspirant Boulenger. Il ne me dissimula point qu’il se rendait compte de tous les risques de sa position, noyé comme il l’était dans une forêt perméable aux chars. En conséquence il avait décidé de rester près de sa pièce la plus exposée, de n’y amener que son tracteur de pièce et sa tous-terrains de reconnaissance chargée de munitions, et – la batterie étant de toute récente formation et n’ayant pas encore pu faire de tir – de se charger lui-même du F.M.
Je le quittai vers 7 heures, après lui avoir recommandé de soigner sa liaison avec la cavalerie et souhaité bonne chance, emportant la vision d’un grand garçon enthousiaste et énergique, brandissant joyeusement son F.M. décidé à faire son devoir et à vendre chèrement sa vie.
L’Aspirant Boulenger avait avec lui le Brigadier Colette, faisant fonction de chef de pièce, le M.P. Guilbert, les 2° CL. Bellenou, Le Gleut, Roussez, Le Berre.
Seuls Roussez et Le Berre rejoignirent la pièce placée au débouché sud de la forêt.
Plus tard, l’Aspirant Boulenger, le Brigadier Colette, le M.P. (maître pointeur) Guilbert furent trouvés enterrés ensemble à toucher la Maison Forte, seule tombe et seuls cadavres découverts aux environs de cette Maison Forte. Puis j’appris que Le Gleut était prisonnier. Personne n’a jamais eu de nouvelles de Bellenou qui doit être considéré comme disparu.
Les renseignements recueillis auprès de Roussez, Le Berre, Le Gleut et sur place permettent de reconstituer comme suit ce qui s’est passé.
Dans la matinée le Génie fit sauter la destruction préparée en avant de la Maison Forte sans aviser la pièce de 47. L’Aspirant Boulenger fut fortement commotionné et à moitié enterré. Ses hommes le dégagèrent et le ranimèrent. Mais les lèvres de l’entonnoir produit par la mine gênaient le champ de tir.
Une demi heure après se présentait un char que la pièce de 47 détruisit à quelques cents mètres. Puis un char parvint, dissimulé par les lèvres de l’entonnoir, jusqu’à cet entonnoir, et la pièce de 47 le détruisit à quelques mètres pendant qu’il tirait. De fait le blindage de la maison forte porte une perforation, et il est probable que ce char a réduit au silence la 37 de la Maison Forte. D’après un témoignage, la pièce aurait détruit un 3° char.
Après une accalmie, des infiltrations se produisirent sur les côtés et par derrière et la pièce reçut des coups de tous côtés. L’Aspirant Boulenger envoya Roussey à l’arrière vers le Ct. de la cavalerie avec un compte rendu décrivant sa situation et pour demander des ordres. Roussez réussit à se glisser, passer et repartit
avec ordre de tenir. Mais il ne put rejoindre sa pièce et fut arrêté en cours de route par des éléments amis qui combattaient au sud de la Maison Forte.
Cependant l’Aspirant Boulenger et ses hommes étaient mitraillés de tous côtés et surtout par derrière. La situation étant intenable et la pièce dirigée vers le Nord inutilisable, l’Aspirant Boulenger cria à ses hommes de s’égayer dans le bois pendant qu’il se levait près de sa pièce. Il est probable qu’il a tenté de déculasser ; et il s’est fait tuer sur la pièce avec le Brigadier Colette et le M.P. Guilbert.
Je suppose que votre demande de renseignement a pour but de vous éclairer sur une proposition de récompense. Aussi je me permets les réflexions suivantes :
L’ascendant de l’Aspirant Boulenger, la cohésion de sa pièce, les résultats obtenus, sont d’autant plus remarquables que la batterie était de toute nouvelle formation, que personne dans son équipe n’avait encore pu faire de tir réel au 47 et que c’était pour tous le baptême du feu.
Des décorations à titre posthume ont deux intérêts :
L’exemple ; ceux-ci l’ont donné
Une pieuse satisfaction pour leurs familles. A cet égard je vous signale :
1° - que le père de l’Aspirant Boulenger est un ancien officier d’artillerie de réserve de la guerre de 1914, cité. Il y sera particulièrement sensible. J’en veux pour preuve la lettre qu’il m’écrivait fin Mai 1940 en réponse à la mienne l’avisant de la disparition de son fils, dont les premières phrases m’expriment la consolation qu’il éprouve à savoir que son fils a fait son devoir et l’espoir qu’avant de disparaître il ait pu rendre la pièce inutilisable.
2° - le Brigadier Colette était marié depuis peu. Sa femme était employée à la poste de Seclin (Nord). Elle a été, sur les indications d’un E.M., l’objet d’une lettre de félicitation du Ministre des P.T.T. pour être restée seule à son poste lors des combats qui se sont déroulés à Seclin, et avoir assuré les communications sous le bombardement.
29 septembre 1941
Signé : A. Vincent »