Souvenirs d’un Officier subalterne de la Compagnie Notre compagnie, avec son noyau actif sous mon commandement, lieutenant Y. ESTADIEU, une fois complétée, quitta ROQUEMAURE le 11 septembre 1939 à 4 heures, et va cantonner à OPPENAS (Haute-Saône), puis à COLOMBIER-FONTAINE (Doubs). Peu après notre arrivée dans ce village, le Capitaine MARCEL, commandant la compagnie me demanda de dessiner un insigne pour les Ponts Lourds. Et effectivement, je fis le dessin de l’insigne (classé 5A2084a en commandement des ponts lourds) reproduit dans l’ouvrage du SHAT, lequel insigne reprenait, tout simplement, l’image d’un tampon du 2° Bataillon du 7° R G. Le prototype fut réalisé par une entreprise locale, et soumise au commandant CREISSEN, Chef des Unités de Ponts Lourds.
Seulement, cet insigne était trop délicat et difficile à réaliser, d’après l’artisan contacté et le Capitaine MARCEL me demanda de modifier mon projet, en l’allégeant, et surtout en le personnalisant davantage. C’est ainsi que je dessinai l’insigne ci-dessus, mais qui ne fut réalisé qu’en quelques exemplaires.
Il est possible que le premier prototype soit resté au bataillon, à AVIGNON (il ne mentionne pas une compagnie particulière). Quant à la seconde réalisation, que je possède toujours, elle n’a été que parcimonieusement distribuée (à ma connaissance, seuls les officiers (5) et quelques sous-officiers de la section de commandement (6) de la 326/11 ont pu en bénéficier.
La Compagnie 326/11 prit part à la Campagne de France, et fut l’objet d’une citation collective à l’ordre du Corps d’Armée.
Le motif de cet insigne a été repris plus tard, sur un fanion de la 326/11 que j’avais dessiné, offert, à COLOMBIER-FONTAINE, par Madame BEAUMANN, lors d’une prise d’armes, le 1 juin 1940, à notre départ sur le front de la Somme.
Ce même jour, cette dame, épouse de Monsieur BAUMANN (Suisse, industriel spécialisé dans la fabrication de chaises en bois courbé, et qui hébergeait dans son château 4 des officiers de notre compagnie), offrit à tous les officiers (5) de la compagnie 326/11 un blason brodé portant le même sujet, destiné à être cousu sur nos chandails, ce qui n’a pas pu être fait !
Yves ESTADIEU,
Séjour au 6e Génie d’ANGERS de 1937 à 1938.
Ecole Militaire d’Application du Génie (EMAG) de VERSAILLES en 1938.
Nommé Aspirant au 7e Régiment du Génie à AVIGNON le 1er octobre 1938.
Promu Sous-Lieutenant le 1er avril 1939.
Affecté au Secteur Fortifié des Alpes-Maritimes comme commandant du détachement du Génie adapté au 74e Bataillon Alpin de Forteresse, à SAINT ETIENNE DE TINEE, en avril 1939.
Admis au cadre actif de carrière en août 1939.
Affecté comme commandant du noyau actif de la 1ere Compagnie de Ponts Lourds, en formation à ROQUEMAURE (Gard 30). La compagnie sera commandée par la suite par le Capitaine MARCEL, et dirigée dans la région de MONTBELIARD, BELFORT, SAINT-DIE.
Combat au sud de la Somme, sur l’Oise, sur la Marne en juin 1940.
Citation collective homologuée, avec croix de guerre, à l’ordre de Corps d’Armée, pour la CPL 326/11, le 2 septembre 1940.
Citation individuelle homologuée, avec croix de guerre à l’ordre du Régiment, le 8 juillet 1940.
Citation du Général FRERE le 26 juin 1940.
Démissionne le 8 août 1940.
Mouvement de résistance Front National, de 1943 à la Libération.
Rappelé au 7e Régiment du Génie en 1946.
Promu Lieutenant de Réserve le 1er juin 1946.
Stagiaire au 3e RG de MEZIERES en 1954.
Promu Capitaine le 1er décembre 1955.
Admis aux cours des Hautes Etudes de la Défense Nationale.
Promu Chef de Bataillon le 1er octobre 1962.
Admis à l’Honorariat le 30 juin 1969.
JEUNE OFFICIER EN GARNISON AVANT 1939Quelle était la vie en garnison d’un jeune officier avant guerre de 1939 ?
Telle est la question qui m’a quelquefois été posée.
Dans les mémoires de « Castor Délicat », j’ai surtout évoqué les écoles d’ANGERS et de VERSAILLES, mon « adaptation » au 74e Bataillon de Forteresse, et, plus tard, la guerre de 1939-1940 à la 11e CPL.
Mais la vie de garnison, au 7° RG à AVIGNON, avait un certain charme (désuet), et je vais en parler brièvement.
Tout d’abord, avant d’entrer dans le vif du sujet, un peu d’histoire.
Rappelons que la Première Guerre Mondiale, dont une des raisons passée sous silence, était la reconquête de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, (ce qui ne pouvait qu’être agréé par un petit-fils d’alsacien) fut la cause d’un immense désastre : outre les destructions matérielles, la mort de 1 400 000 soldats français. De cette véritable saignée, la France ne s’est jamais relevée, et le déclin démographique amorcé dès la révolution française, poursuivie sous le 1er Empire, s’est malheureusement accentué.
A la suite de quoi le gouvernement français décida, en 1929, la création d’un vaste système défensif, avec la construction d’une ligne fortifiée face à l’Allemagne (la ligne Maginot), s’imaginant ainsi mettre notre pays à l’abri d’une invasion, complétée ensuite par une ligne fortifiée face à l’Italie. De ceci résulta l’abandon d’une stratégie offensive, permettant ainsi une économie ! sur le budget de la défense nationale.
Nous avions, dans l’armée, un nombre important d’officiers ayant participé à la guerre 1914 – 1918, près de 60 % d’officiers subalternes, près de 80 % d’officies supérieurs, et à peu près tous les officiers généraux. Beaucoup, mais pas tous, loin s’en faut, forts de leur expérience de la guerre de position, étaient persuadés du bien-fondé de cette politique de défense adoptée par les gouvernements de l’époque, ayant été, on le comprend, traumatisés par les pertes subies pendant la guerre. Tous très décorés, ils étaient auréolés du prestige de la victoire de 1918, et jeunes officiers, nous avions beaucoup d’estime pour nos anciens, une grande confiance dans leur valeur, et nous ne doutions pas de leur compétence, durement acquise au contact de l’ennemi.
(N’oublions pas toutefois, que l’armée française était passée très près de la défaite, en juin et juillet 1918 et que la situation n’a pu être redressée,
in extremis, que grâce à l’intervention des armée anglaises et américaines, apportant une aide bienvenue en hommes, en armement et en matériels divers).
Je dois ajouter, hélas, que, la suite nous l’a montré, cette confiance n’était pas totalement méritée, car j’ai connu plusieurs cas où, des officiers chevronnés, porteurs de plus hautes distinctions, probablement méritées en 14-18, ne sont, en plein combat, tout simplement « retirés » sans tambour ni trompette en juin 1940. Je n’en veux comme exemple que ce chef de bataillon pontonnier, bien connu de nous, fuyant devant l’ennemi, passant la Loire en voiture avec quelques officiers de son petit état-major, bien en avant de ses unités, alors peu motorisées, les abandonnant sans ordre aux mains de l’ennemi. (Après l’armistice, il fut rétrogradé au garde de capitaine, et, probablement, mis à la retraite.) Tout cela n’empêcha nullement ces braves gens, peu après, de faire état de leur passé glorieux, mettant en parallèle leur « victoire » et notre « défaite » après une guerre ou pourtant ils nous commandaient, guerre nous ayant coûté la mort de plus de 100 000 soldats en 4 semaines ! Je vous laisse le soin de calculer, à ce rythme, les pertes que l’on pouvait prévoir sur une année, et même sur 4 ans !
Revenons à ma vie d’officier avant la guerre 39-40.
Après un an d’études militaires, d’abord au 6e RG à ANGERS, puis à l’Ecole Militaire d’Application du Génie, sorti dans un bon rang, je pus choisir mon affectation, et naturellement, ce fut le 7e RG d’AVIGNON, qui était le plus proche de BEZIERS, et ou je me retrouvai avec trois autres camarades de promotion (affectés un par bataillon).
Ainsi, dès le 1 octobre 1938, je fis connaissance avec ma nouvelle vie de garnison, comme aspirant, chef d’une section de 54 hommes, sous-officiers, caporaux et sapeurs, à la 6e Compagnie de Ponts Lourds du 2e Bataillon du 7e RG, au quartier Hautpoul, à AVIGNON.
Et c’est ainsi qu’à 23 ans je devins le plus jeune des 80 officiers du régiment. L’un de mes camarades de promotion, né avant le 1er janvier 1915, avait été nommé directement sous-lieutenant, conformément à l’ancien règlement, et les deux autres aspirants avaient quelques mois de plus que moi. Nous fûmes tous trois promus sous-lieutenant au 1er avril 1939.
Les autres « jeunes » officiers présents au régiment, à peu près tous de l’Ecole Polytechnique, avaient été nommés sous-lieutenant un an auparavant.
Signalons en passant qu’avant la guerre de 1914-18 les jeunes polytechniciens entraient de préférence dans l’artillerie, et, qu’après cette guerre, ils furent dirigés vers le Génie. (Les autres grandes écoles fournissant des cadres de l’artillerie). Notons que la plupart d’entre eux n’avaient pas vocation à « pantoufler », bien au contraire, car beaucoup envisageaient de faire carrière dans l’active. Ils ne cachaient pas non plus leur intention de « castoriser », s’ils en avaient la possibilité.
Comme vous le pensez, toutes les corvées allaient me tomber dessus !
Parti de VERSAILLES avec pas mal de brochures, d’instructions et d’ouvrages généraux concernant la carrière et la vie militaire, notamment les « Conseils à un jeune sous-lieutenant », j’avais rapidement assimilé les « conseils » très judicieux concernant, je cite : « avant le départ pour le régiment, le logement, la pension, l’ordonnance, les relations avec les chefs, les relations avec les subordonnés, les sous-officiers et les hommes de troupe, les devoirs avec soi-même, les règles de correspondance militaire, avec leur cas d’emploi, et même les dimensions et la composition de la cantine d’un officier subalterne » (sic).
Mais je m’étais intéressé surtout aux « procédures d’administration dans l’armée active ».
Dès mon arrivée au corps, je fus amplement doté de «règlements», aussi bien d’ordre général et administratif que d’ordre technique ; (les règlements étant des livres parfois épais, réglant toutes les matières où nous pouvions être amenés à intervenir). C’est ainsi que je fus pourvu, entre autres du « Vade Mecum de l’Officier Subalterne du Génie », document secret défense ! le mien portant le numéro 8119. (Instructions divers d’ordre théorique et d’ordre théorique), ainsi que de « l’Agenda de l’Armée Française », donnant, lui, le détail des lois et décrets concernant les droits et devoirs de l’officier.
Partant comme mineur et pontonnier, quel était l’emploi auquel je m’attendais. Le génie, au contact de l’ennemi devait, en gros :
- préparer les bases de départ de l’infanterie.
- accompagner les chars pour détruire les champs de mines.
- organiser, sous le feu, tout terrain conquis, le défendre, le cas échéant.
- précéder les vagues d’assaut pour couper et détruire les réseaux de barbelés.
- assurer les passages de vive force sur les fleuves et les rivières.
- rétablir les communications, routes, ponts et ouvrages d’art.
- organiser les positions.
- détruire les routes, ponts, fortifications et ouvrages d’art.
- assurer le franchissement des cours d’eau pour la troupe et le matériel : ponts de bateaux, portières, bacs, ponts de circonstance.
- préparer et mettre en exécution la guerre de mines.
- construire en place les champs de mines, en cas de besoin.
Mais, ma spécialité fut tout autre.
Dès mon arrivée à la caserne, je me présentai au Colonel MARTIN, commandant le 7e Régiment du Génie, qui, au vu de mes certificats d’études d’ingénieur et d’architecte, m’affecta au 2e Bataillon de Ponts Lourds, et me dirigea sur le Commandant CREISSEN (ancien X), qui m’affecta, à son tour, à la 6e CPL, commandé par le Capitaine AUXERRE, (Tous trois vieux briscards de 14-18). Mais AUXERRE tomba malade (malheureusement...!) dès le début septembre 1939 et ne pris pas part aux opérations de 39-40.
L’emploi des CPL, en temps de guerre, se situait naturellement dans la zone des Armée et comprenait la réparation et la construction de routes et d’ouvrages d’art : ponts routes métalliques, ponts suspendus, ponts de pilots en charpente, aménagement des chemins d’accès, tout ceci devant permettre le passage des engins lourds.
Il avait été étudié des types de ponts lourds dits : « ponts de l’avant », construits rapidement au contact de l’ennemi. Existant seulement à l’état de prototype, j’en ai construit un, avec ma compagnie, au cours d’une manœuvre, à BEDOIN, en 1939.
Mais un autre « pont de l’avant », dit de type A, fut réalisé et mis en œuvre en plusieurs exemplaires au cours des années 39-40, et j’ai eu en charge l’instruction de deux sections de la 326/11e CPL, en 40, à SAINT DIE.
Les Compagnie de Ponts Lourds pouvaient exceptionnellement être complétées par des compagnies de mineurs ou de pontonniers. Inversement, en cas de crise, nous devions suppléer les travaux de mines, d’organisation du terrain, ou de ponts de bateaux, à la demande de la Direction du Génie de la Grande Unité à laquelle nous étions affectés.
Complètement autonome, une compagnie de Ponts Lourds, telle que la Compagnie 326/11,
Commandée par un capitaine (Sous le commandement organique d’un chef de Bataillon), mais aux ordres de la GU, Division, Corps d’Armée ou Armée, comptait, en temps de guerre :
- 1 capitaine commandant la compagnie, 1 adjudant-chef, 1 médecin.
- Une section de commandement : 1 sergent-chef comptable chef de section et 5 sergents (1 comptable, 1 en réserve de commandement, 1 bureau d’études, 1 train de combat, 1 approvisionnement), 1 vaguemestre, 1 maréchal des logis, 2 caporaux, 26 sapeurs, 1 brigadier, 16 conducteurs de camions ou d’autos.
- Quatre sections comprenant chacune : 1 lieutenant ou sous-lieutenant chef de section, 1 sergent-chef, 2 sergents, 6 caporaux, 45 maître-ouvriers ou sapeurs.
Comme véhicules, nous disposions de : 2 camionnettes (vivres et bagages, matériel de transmission et matériel de protection contre les gaz).
2 camionnettes pour le ravitaillement,
1 cuisine remorque,
7 camions transportant le matériel de première urgence : outillage, appareils de levage, treuils, palans, appareils d’éclairage, compresseurs, scaphandre, etc…
1 haquet-remorque avec bateau modèle 1901, moteur Ducassou 12 CV et quille amovible,
1 remorque,
1 ambulance.
En temps de paix, le 2° Bataillon de Ponts Lourds, caserné au quartier Hautpoul pour la 6e CPL et au quartier Chabran pour la 5e CPL, assurait l’instruction spécialisée, et devait, par échelonnement, former, en temps de guerre 17 compagnies.
Me voila donc intégré dans un milieu nécessitant une bonne connaissance théorique et pratique des calculs de résistance des matériaux, ce qui m’était familier, mais aussi la pratique de la mise en œuvre d’un matériel spécifique, ce qui était nouveau pour moi. Les règlements permettaient de satisfaire une certaine automaticité, un travail méthodique, comme un rodage bien huilé, mais n’excluaient pas toutefois une initiative dans l’étude de l’ouvrage à réaliser, dans les prévisions de matériel et d’outillage, dans l’emploi de la main d’œuvre et dans la conduite des chantiers.
Matériellement, ma solde était plutôt maigre. Trouver une petite chambre meublée près de la caserne, ne fut pas une petite affaire ! Mon vieux vélo aux jantes en bois, que j’avais fait venir de BEZIERS fut ensuite mon seul moyen rapide de locomotion. Il stationnait, hors service, sans risque, sur le trottoir, devant l’immeuble, sans cadenas, dans l’artère principale d’AVIGNON (heureuse époque !). Je me mis en quête d’une blanchisserie où mon ordonnance apportait le linge chaque semaine (il n’avait pas beaucoup de travail !), et me voilà paré.
Tous les officiers subalternes célibataires, c’est-à-dire des aspirants et des sous-lieutenants, à peu près tous les lieutenants et 3 ou 4 capitaines prenaient obligatoirement leurs repas au mess des officiers, dans un restaurant situé près du Palais de Papes. Les capitaines et les rares lieutenants mariés bénéficiant d’une dérogation et d’une autorisation du colonel, mangeaient chez eux, en dehors des nécessités du service.
Le prix des repas était très raisonnable, mais la qualité était moyenne et la quantité laissait à désirer.
La compagnie étant d’ordinaire, j’avais été chargé, dès mon arrivée à la caserne, de la surveillance, du contrôle et de l’inspection des réfectoires et de la cuisine des 2e et 3e Bataillons. Il va sans dire que je me rattrapais, par avance, des repas un peu maigres au mess en « goutant » l’ordinaire. Mes comptes-rendus et mes observations, sur le cahier de service, étaient toujours élogieux, à juste titre, avec, chaque jour la mention RAS, en conclusion. Je dois ajouter que la cuisine était bien tenue et les cuisiniers excellents.
La vie de garnison était organisée en circuit fermé, et nous n’avions que peu de contact avec les civils. Cette vie communautaire, son dynamisme, l’activité et la disponibilité qu’elle exigeait me convenait parfaitement.
Les tenues et autres pièces d’uniforme étaient achetées chez le maître tailleur du régiment, à un prix raisonnable pour la qualité bien supérieure à ce que l’on pouvait trouver dans le commerce.
Les rapports avec les supérieurs étaient respectueux, certes, mais excellents.
Entre nous, aspirants, sous-lieutenants et jeunes lieutenants, une quarantaine environ, d’un âge variant entre 23 ans et 28 ou 30 ans, le tutoiement était de rigueur, une bonne entente régnait, et, bons camarades, les « anciens » n’hésitaient pas à donner des conseils, les renseignements désirés, à nous aider et répondre à nos questions, le cas échéant. Nous étions tous très solidaires entre nous. La discipline était acceptée, naturellement et sans réticence aucune, comme l’obéissance, la hiérarchie respectée et une sorte de code d’honneur nous régissait.
Les ¾ d’entre nous étaient issus de l’Ecole Polytechnique, parmi les autres, 2 ou 3 architectes quelques professeurs de math., et relativement peu d’anciens EOA. Nous appartenions, à peu près tous, au cadre de réserve, mais une bonne moitié désirait demander l’admission dans les cadres d’active. Les X, possédant le certificat attestant d’avoir satisfait aux examens de sortie de Polytechnique étaient dispensés, dans les deux cas, de l’examen de culture générale.
Pour les autres impétrants, 2 cas conditionnaient l’admission dans « l’active » :
1er cas : Après l’examen d’aptitude et l’examen de culture générale, effectuer un stage de 10 mois à l’EMAG à VERSAILLES, suivi d’un stage de 2 mois dans un corps de troupe.
2ème cas : Sans examen de culture générale ni stage à l’Ecole d’Application, admission directe après 2 ans de service sur un théâtre d’opérations extérieures.
Une autre possibilité, bien moins avantageuse existait pour les officiers de réserve, c’était celle de servir en « situation d’activité », où aucune des conditions ci-dessus n’était imposée. L’officier avait alors les mêmes droits et les mêmes devoirs que dans l’active, avec une solde et des avantages identiques, mais cette carrière était alors limitée à une durée maximum de huit années, en sus des obligations légales, et la retraite n’était pas prévue, l’intéressé devant se la financer lui-même.
Naturellement, j’avais opté pour la solution de 1er cas, et passé avec succès l’examen d’aptitude et l’examen de culture générale.
Tous les jeunes officiers du 7e Génie étaient d’une parfaite courtoisie et d’une correction exemplaire avec leurs subordonnés. Bien sûr, le langage des casernes faisait partie de nos acquisitions, avec quelques écarts et quelques termes ou mots inconnus dans le civil pouvant prêter à confusion. De rares mots « grossiers » entre nous, pouvait être entendus, mais ne prêtaient pas à conséquence, affaire d’habitude.
Toutefois, plus tard, à la 326/11, nous ne nous exprimions, à la « popote », qu’un langage châtié, ainsi que l’avait exigé le Capitaine MARCEL. La popote des officiers, le seul endroit où nous nous rencontrions, dans la journée, nous permettait de discuter, de critiquer et de faire le point sur nos activités de service, mais aussi de parler librement sur tout autre sujet, aucun n’étant exclu de nos discussions. Pour une parfaite correction, à table, notre capitaine avait fait confectionner un petit cercueil en bois, portant une fente sur le dessus, qui trônait en permanence au beau milieu de notre table. Si par hasard, l’un d’entre nous prononçait un mot jugé grossier, il devait y déposer séance tenante une petite pièce de monnaie d’une valeur équivalente à 1 franc d’aujourd’hui, et s’excuser.
Il n’était pas rare de voir 5 ou 6 pièces tomber dans l’escarcelle au cours d’un repas. La cagnotte grossissait rapidement, et les pièces récoltes servaient à notre approvisionnement en bouteilles d’apéritifs ou de liqueurs. Dieu sait si nous n’en manquions pas !
Revenons à AVIGNON.
Pour moi, la journée commençait à 6 heures, débarbouillage dans une petite cuvette, avec un broc d’eau froide, petit déjeuner vite pris, sur le pouce (Eleska !), dans ma petite chambre, parfois une brioche, et départ pour la caserne, à 5 minutes à pied de là, où le rassemblement avait lieu à 7 heures. Après l’appel et les diverses formalités (Malades, punis, corvées, etc.), départ, par section, pour le polygone de Courtine (réservé aux mines et aux ponts lourds), quelquefois à l’école de ponts (flottants) et de navigation, au Rhône. Après les exercices (éducation physique, mouvements instruction technique), retour au quartier, à 11 heures, pour le repas, puis, à 13 h 30, reprise des activités.
Tout ceci, bien sûr, quel que soit le temps, et sans abris possibles. Il fallait avoir une bonne aptitude à la vie de plein air, une robustesse à toute épreuve et ne pas être trop sensible aux variations de température (pensez au mistral en hiver !).
L’instruction technique que j’avais reçue à l’EMAG portait sur les spécialités de « mineurs » et de « pontonniers ». (L’EMAG comptait aussi une toute petite unité de télégraphistes-colombophiles et une petite unité de chemins de fer, de l’ordre d’une escouade chacune).
Comme prévu, je me mis à étudier le matériel militaire concernant les ponts métalliques, les ponts suspendus et les ponts de charpente, et n’eus aucun mal à assimiler ces ouvrages. La seule remarque que me fit le Commandant CRESSEN portait sur les termes et les désignations des pièces ou du matériel utilisé, bien différents de ceux utilisés dans le civil. Il est évident que se faire comprendre des militaires, il était primordial d’utiliser un seul et même langage, sous peine de confusion possible. J’appris les nouvelles dénominations rapidement.
Comme chef de section, j’avais ainsi la responsabilité de l’instruction et la responsabilité matérielle de 51 caporaux et sapeurs, aidé efficacement dans ma tâche par un sergent chef et par 2 sergents.
L’instruction militaire comprenait : les armes et leur maniement, l’éducation physique, les ordres de mouvement, sans arme et avec arme, les exercices de section et les manœuvres, quelquefois des marches de 24 kilomètres avec chargement de campagne complet.
L’instruction de spécialité ponts lourds était plus intensive, ainsi que la mise en œuvre des explosifs. Secondairement, nous avions à assurer les rudiments de navigation et de construction de ponts flottants, ce qui nécessitait la connaissance de tous les nœuds de cordage, les ligatures et les brêlages, les épissures sur amarres et sur cinquenelles. Ce n’était pas toujours facile d’inculquer ces notions aux jeunes sapeurs ! En outre, quelques leçons sur la pose de fils barbelés, sur la pose de mines et sur le déminage. Je dois ajouter que comptant dans ma section des charpentiers en bois et en fer, quelques bateliers et quelques cheminots, peu nombreux étaient réellement les néophytes. Mais notre outillage commençait à être mécanisé, et nous disposions déjà de tronçonneuses lourdes, d’outillage pneumatique perfectionné, de compresseurs et de perforatrices, d’engins de battage avec moutons de 500 kilos, dont il fallait bien apprendre le fonctionnement, la mise en œuvre et l’entretien.
L’instruction armes concernait les fusils et mousquetons, le lancer de grenades, le tir à 50, 100 et 300 mètres, et pour les caporaux, le tir à la mitrailleuse Saint-Etienne, vieux matériel datant de 14/18. J’étais responsable des tirs de ma section, au stand et au champ de tir, et devais procéder aux vérifications et aux essais en cas d’incidents ou de défectuosités signalés. Le plus souvent, un petit réglage suffisait, mais j’ai eu un cas insolite, avec une arme qui, essayée à 50 mètres, au stand, avec hausse correcte, envoyait les balles dans le sable, à 10 mètres de moi (en position couchée) tellement le canon avait dû être forcé ! Après établissement du rapport, j’envoyai l’arme à l’armurerie du régiment.
Chaque semaine, ou presque, je passais, le samedi, la revue de détail, des effets, et surtout des armes, vérification de l’entretien, inspection que je passais en gants blancs ! Suivant une coutume bien établie à l’époque.
Le commandant de compagnie m’avait aussi confié, comme officier Z, l’instruction sur les gaz de combat, avec les essais de masques, par section, dans une « chambre à gaz ».
Comme dérivatif, nous avions les réunions, mensuelles, obligatoires, le samedi, de tous les officiers dans la salle de conférence, au cours desquelles, le colonel faisait les mises au point, la critique des exercices et des manœuvres, donnait ses directives générales, puis passait la parole pour une conférence que nous devions tenir, à tour de rôle sur un sujet de notre choix, avec l’agrément du chef de corps, le tout documenté par des projections de photos ou de statistiques. Ces séances duraient habituellement 3 heures, quelquefois plus, et je piaffais d’impatience lorsque le sujet ne me paraissait pas trop intéressant.
Des travaux personnels, des « devoirs » concernant notre spécialité m’étaient imposés par le commandant CREISSEN, tels que des calculs technique de ponts, de destruction d’ouvrages d’art, ponts et routes, et quelques réalisations pratiques, telles que le projet et la réalisation d’une route d’accès au champ de manœuvre des Angles, à 10 km d’AVIGNON.
En qualité d’architecte, j’étudiai ainsi la construction d’un bâtiment en dur, au polygone de Courtine (polygone qui se trouvait à l’emplacement actuel du triage SNCF d’AVIGNON), bâtiment d’une surface totale de 256 m2, comportant un réfectoire pour sapeurs, de 108 m2, une cuisine de 24 m2, avec magasin de vivre de 12 m2, un office de 12 m2, une cantine de 20 m2, avec bureau du gérant de 12 m2 et un réfectoire de 32 m2 pour le détachement permanent. J’en ai dirigé ensuite les travaux de construction.
A mon tour de semaine, qui arrivait bien souvent, le capitaine adjudant major me confiait la surveillance et le contrôle des gardes, des dépôts d’explosifs, le service en ville et en gare, de jour comme de nuit, outre la correction des devoirs des officiers de réserve, et aussi le service des hôpitaux, ce qui était réellement pénible pour moi. Il s’agissait de contrôler la bonne tenue des salles réservées à l’hôpital militaire, de recueillir les doléances des malades (soldats des divers régiments d’AVIGNON, principalement sapeurs du 7e Génie et tirailleurs du 27e Tirailleurs Algériens). Les sapeurs ne se plaignaient jamais, par contre, les tirailleurs étaient plus exigeants. Ensuite, je devais interroger les infirmières et leur faire part de mes observations. Ce personnel était, comme dans les hôpitaux civils de l’époque, entièrement constitué par les religieuses de la congrégation de Saint Vincent de Paul (filles de la charité), et pour finir, je devais m’entretenir sur quelques détails, avec la Mère, et ce n’était pas toujours facile de la convaincre. Pratiquement, toutefois, je signais toujours le cahier de contrôle et mes rapports avec une appréciation satisfaisante pour tout le monde.
J’ai eu à assurer aussi, un dimanche, l’intérim du Capitaine Adjudant Major, lourde charge qui consistait principalement à assurer la transmission immédiate et l’exécution des ordres urgents provenant du commandement, et secondairement à veiller à l’exécution des service collectifs, entretien, corvées, etc…, disposant à cet effet d’un adjudant et de cinq sapeurs (secrétaires, plantons et clairon), en plus du service de garde normal.
L’officier de garde au quartier, comme les officiers de service de police en ville pouvait très bien, alors, intervenir, avec leur détachement pour protéger l’ordre public, ou être requis par la gendarmerie ou la police à cet effet. De même, exceptionnellement, les pompiers avaient la possibilité de faire appel à la troupe. Les seules fois où je fus requis à cet effet, furent comme 2e classe, en 1937, à GRENOBLE, pour combattre un feu de forêt, qui était circonscrit à notre arrivée, puis comme officier, en 1939, avec ma section, lors de l’incendie meurtrier des Nouvelles Galeries, sur la Canebière, à MARSEILLES. Mais, arrivés à la gare, je reçu le contrordre, et nous fîmes demi-tour.
Parmi les obligations se trouvait la présentation des jeunes recrues au drapeau.
Cependant, la partie du service véritable la plus difficile était bien les prises d’armes, les revues et défilés. La préparation durait plusieurs jours. Avec les « anciens », la tache était facilitée, mais avec les « bleus », cela n’allait pas tout seul. Chaque répétition durait environ 4 heures, tous les mouvements étaient répétés plusieurs fois, sans répit, marche au pas cadencé, mouvement divers, avec en tête, la musique du régiment, tout cela à l’intérieur du quartier, en tenue de campagne avec sabre pour les officiers, fusil et baïonnette pour les sapeurs.
La vielle du « grand jour », répétition générale devant le Chef de Corps, et, là, il ne fallait pas rigoler. Je me souviens d’une fois, où le Colonel avait engueulé un de mes camarades de promotion, parce que sa voix ne portait pas assez loin à son gré. Il l’avait alors immédiatement mis sur la touche, et, devant tout le régiment, il avait demandé à un adjudant-chef de prendre le commandement de sa section ! (authentique). Je dois dire que, casque sur la tête, sabre au clair, seul devant sa section, donner de la voix, commander « tête droite », « fixe », saluer au sabre, tout en gardant le rythme, la cadence et la bonne et rectiligne direction, cela nécessitait un certain entraînement.
Je me souviens à ce sujet, d’un fait qui n’est pas rarissime.
Le 14 juillet 1931, année de l’Exposition Coloniale, nous assistions, mon frère et moi, avec notre oncle et notre tante, à la revue et au défilé des troupes sur les Champs-Elysées à Paris. Devant nous, en attente du défilé, l’arme au pied, une classe d’Élèves Officiers de l’École Militaire de Saint-Cyr, en grand uniforme, casoar au shako. A 3 mètres devant nous, l’un d’eux s’effondra brusquement et tomba sans connaissance. Des spectateurs se trouvant près de nous se portèrent à son secours, et le réconfortèrent, lui donnant à boire du thé qu’ils avaient dans un thermos, mais il ne put pas défiler…
J’ai compris, plus tard, qu’effectivement, se lever, probablement à 4 heures, se préparer, se mettre en armes, pérégriner, avant d’attendre, debout, pour défiler, vers 10 heures, avec la chaleur de juillet, et sans possibilité de boire, cela était véritablement épuisant.
En dehors du travail normal quotidien, j’avais été désigné, par le commandant CREISSEN, (notamment pour le 2e Bataillon), pour m’occuper d’activités plus ludiques, telles que les décorations artistiques ou l’animation matérielle confiées au bataillon, à l’occasion de fêtes. En particulier, j’ai concocté, dessiné et construit, avec ma section, sur une idée du colonel, pour la fête du régiment, une voie ferrée de 60 cm, longue d’environ 500 mètres, avec courbes, rampes, ponts et tunnels, tracée dans les cours du quartier, avec gare au nom significatif de « chicalasape ». Les convois étaient remorqués par une locomotive diesel du parc, et étaient composées chacun de 5 wagonnets transformés en « voitures », par l’adjonction de banquettes en bois.
Je me souviens très bien que, malgré toutes les précautions prises, je n’avais qu’une crainte, c’est que ma gare ne soit emportée par le mistral violent qui soufflait le jour de la fête !
J’étais aussi requis et mis à contribution, avec 2 autres camarades, pour décorer, en d’autres circonstances (fêtes ou réceptions officielles) la salle de conférences, activité que j’avais déployée auparavant au 6e Génie. Il s’agissait là de disposer artistiquement banderoles, casques, cuirasses, lances, fanions et drapeaux, et surtout tableaux, hâtivement réalisés, grandeur nature, d’anciens uniformes, ainsi que de mettre en place arbustes et en pots et plantes vertes, aidés de quelques sapeurs. J’ai aussi dessiné pas mal de menus pour la troupe, distribués dans les réfectoires, à l’occasion de fêtes carillonnées.
Encore heureuse époque, où la caserne, pourtant située en plein cœur de la ville, résonnait en permanence de sonnerie de clairon. Il y en avait 27 !, (plus de 10 marches officielles), les principales étant : le réveil, le rassemblement, la « soupe », l’extinction des feux (sonnées 4 fois : N, E, S, O,) et, en plus, à tout moment, les appels des adjudants, sergents-chefs, sergent, fourriers, ou caporaux de service, d’autres sonneries étant plutôt réservées aux champs de tir ou aux champs de manœuvres. Et personne parmi les civils ne s’en est jamais plaint !
Je n’étais jamais fatigué de cette activité débordante bien au contraire, une telle vie active et rude me plaisait énormément.
Mes loisirs étaient forcément mesurés, et, de plus, en dehors des reprises d’équitation obligatoires en semaine, les dimanches où j’étais libre, j’allais faire 2 ou 3 heures de cheval au manège de la Compagnie Hors Rang, dans le but d’améliorer ma pratique du saut en hauteur.
Toutefois, j’ai quelquefois demandé des permissions de 36 heures (samedi et dimanche), pour me rendre à BEZIERS. Précisons que pour les officiers, les permissions de 48 heures étaient défalquées des 45 jours de congé annuel auxquels nous avions droit. Je pensais ainsi pouvoir prendre, en 1939, tout mon congé en un seul bloc. Hélas, la guerre est venue bouleverser mes bonnes intentions, et je n’ai pu bénéficier de ces « vacances ».
Je me suis tenu aux généralités, et je ne m’étendrai pas davantage sur mes souvenirs d’officier en garnison au 7e Régiment du Génie. Se lancer dans les détails serait peut-être intéressant pour des historiens, mais probablement fastidieux pour tout autre lecteur.
Mes séjours au 4e RG, au 6e RG, puis à l’EMAG, mon affectation au SFAM, puis à la 11e CPL, sont déjà relatés dans les Mémoires de Castor Délicat. (Introuvable pour l’heure 01/12/2014).
Récemment, j’ai pu me procurer l’ouvrage « Les insignes du Génie », réalisé par le Service Historique de l’Armée de Terre, et je ne résiste pas au plaisir de mentionner et commenter dans les pages suivantes la symbolique des différentes unités auxquelles j’ai appartenu.
Ces insignes constituent une partie du patrimoine de l’Arme du Génie, et c’est à juste titre que les sapeurs les abordaient avec fierté.