Bonjour à tous,
Bonjour Henri,
Tout comme votre beau-père, mon papa a été fait prisonnier le 12 juin à Saint-Valery. Il appartenait au 9e BCA, unité qui connaîtra un sort identique au 81e RIA puis qu’elles perdront, toutes deux, leur chef de corps durant la bataille de Saint-Valery. Ci-dessous, un extrait de son modeste « carnet de route », écrit en captivité, où il nous relate ces journées tragiques. La destination finale sera pour lui, dans un premier temps, la Thuringe et le stalag IXA. On peut néanmoins penser que leurs routes vers l’Allemagne seront communes à travers la Somme, le Nord, la Belgique et la Hollande.
« Nous sommes le 11 juin et vers les 16 heures, l’ennemi arrive sur nos positions. L’artillerie, qui est derrière nous, se met à faire un tir de barrage. Les obus tombent à quelques centaines de mètres devant nous. Tout à coup, nous voyons une colonne de chars qui s’avance vers nous. Les armes automatiques crachent de toutes parts, nous résistons jusqu’à onze heures du soir puis, n’y voyant plus rien, nous cessons le tir mais les rafales continuent de siffler de tous les côtés.
A minuit, le lieutenant vient vers nous, nous ordonne de tout abandonner et de le suivre. Nous démontons les mitrailleuses et éparpillons les pièces un peu partout. Nous allons nous rassembler sur un chemin avec le restant de la compagnie. Le lieutenant qui commande la compagnie d’accompagnement nous dit:
« Nous sommes complètement encerclés et il n’y a pas de bateaux à Saint Valery, il est donc impossible d’embarquer, il n’y a que par moyen de barques que nous pouvons tenter notre chance. Ceux qui veulent tenter le coup n’ont qu’à me suivre, sinon, vous n’avez qu’à rester ici vous laisser faire prisonnier mais comme en principe, ils n’en font pas, je vous conseille de me suivre »
C’est-ce que nous faisons tous. Nous nous débarrassons de notre matériel, nous ne gardons que le ceinturon et le casque. Nous partons à travers champ mais la fatigue me gagne, je dors en marchant. Lorsque nous entendons siffler les balles, nous nous couchons et repartons aussitôt.
Puis, inévitablement, à force de m’allonger, je finis par ne plus me relever et m’endormir.
A la pointe du jour, je me réveille au milieu d’un champ de blé; j’ai la figure pleine de boue car il a plu une partie de la nuit. Je suis trempé jusqu’aux os et j’aperçois Saint Valéry en flammes. Il n’y a personne aux alentours. Je me sens complètement abattu, je ne sais de quel côté me diriger. Faut-il se rapprocher de la ville ou bien la fuir? Je rampe sur 5 ou 600 mètres dans la direction de la ville. Je vois maintenant devant moi une maison et devant celle-ci, ce qui me semble être une ombre. Je m’arrête un moment pour fixer mon regard et je distingue une personne qui vient de tomber les cendres de sa cigarette. Je me redresse et m’avance vers elle. Arrivé à une dizaine de mètres, il met la main à sa ceinture et sort son pistolet. Je lui dis de ne pas tirer, que je suis français et que je n’ai pas d’arme. Il me laisse m’approcher et me demande quelques explications. Il va chercher sa vareuse et je reconnais que c’est un capitaine du 81e d’Infanterie. Il me dit de le suivre et me conduit à l’endroit où se trouvait sa compagnie. Je me joins à ses hommes qui ont abandonné les armes eux aussi.
Au bout d’une demi-heure, les obus se mettent à tomber autour de nous. Nous partons les uns d’un côté, les autres d’un autre. Arrivé à un petit village, je rencontre un copain du 9ème, un alésien nommé Rivière. Ensemble, nous récupérons une moto au bord de la route et nous essayons de gagner Saint Valéry mais en vain. Les routes sont barrées par toutes sortes de véhicules, des affûts de canons et autres matériels qu’une armée en déroute abandonne, petit à petit, sur son difficile repli vers la mer. Et partout des cadavres. Les balles sifflent au-dessus de nos têtes, les détonations retentissent comme pour donner la cadence. Une fois de plus, nous sommes obligés de rebrousser chemin et d’essayer par une autre route. Là encore, la route est barrée et semble même par endroits avoir disparue sous l’effet répété des bombes. Nous abandonnons notre moto. Dans une camionnette anglaise, nous trouvons des boites de confitures, du pâté, des galettes. Nous cassons la croûte rapidement à l’abri entre deux épaves de camion. Nous décidons de tenter une nouvelle fois d’atteindre le rivage mais, cette fois-ci, à la tombée de la nuit et à pied.
Quand le soir arrive, vers 17 heures, nous avançons par petits bonds successifs et tout en surveillant les parages. Nous finissons par atteindre Saint Valery, les maisons brûlent et les obus tombent durs. Nous nous cachons sous un pont et attendons qu’il fasse plus sombre. Peu de temps après, nous voyons un groupe d’artilleurs qui arrivent avec un drap blanc au bout d’un bâton. Ils se rendent. Nous nous joignons à eux.
Au bout de quelques minutes arrive une automitrailleuse allemande qui nous indique la route qu’il nous faut prendre. Nous voilà prisonniers.
Ils nous conduisent dans un champ où ils nous fouillent rapidement puis, nous repartons. Nous faisons environ 40 kilomètres et couchons dans un champ. Ils nous donnent une louche de petits pois et c’est tout. Mais c’est le repos qui est bon. Il y a huit jours que nous marchons le ventre vide sans dormir.
Cette journée du 12 juin 1940 se termine ainsi pour moi, allongé sur l’herbe, dans ce pré où nous devons être plusieurs milliers de français et d’écossais à partager le même sort.
Le 13, nous repartons pour 40 kilomètres à pied et en arrivant, c’est encore le même régime, une louche de petits pois sans sel ni rien du tout.
Le 14, nous faisons 60 kilomètres en camion et arrivons à Formerie.
Le 15, repos. Le 16, Formerie, Airaines, 40 kilomètres. Airaines fait pitié à voir. C’est une petite ville complètement anéantie. Il n’y a plus une maison debout.
Le 17, nous faisons 22 kilomètres, Airaines, Soues. En arrivant, nous avons une petite louche de riz et trois galettes de guerre et le matin en partant, un quart de jus d’orge, autant dire de la flotte.
Le 18 juin, Soues, Saint Ouen, 28 kilomètres.
Le 19, Saint Ouen, Doullens, 18 kilomètres. Ici, je retrouve Aberlenc et Reynaud ainsi que d’autres copains. Je suis heureux de les retrouver car je ne savais pas ce qu’ils étaient devenus. Nous restons sur place jusqu’au 24 et toujours la même nourriture. Nous n’avons même plus le courage de nous lever pour aller pisser.
Le 24, nous faisons Doullens, Saint Pol sur Ternoise (Pas de Calais) soit 28 kilomètres. Nous mangeons des betteraves crues arrachées aux bords des routes tellement nous avons faim.
Le 25, Saint Pol, Béthune, 35 kilomètres de douleurs. C’est en quittant Saint Pol que l’on apprend que l’armistice vient d’être signé.
Le 26, Béthune, Lille, 40 kilomètres. En chemin, à Divion, pays minier, nous sommes ravitaillés par les civils qui nous donnent des tartines de pain en pagaille. Les gens d’ici sont très gentils.
Le 27, nous franchissons la frontière belge et arrivons à Tournai soit 28 Kilomètres.
Le 28, Tournai, Renaix, 26 kilomètres.
Le 29, Renaix, Ninove, 34 kilomètres.
Le 30, Ninove, Aalst, 14 kilomètres.
Le 1er juillet, Aalst, Lokeren, 26 kilomètres.
Le 2, Lokeren, Moerbeke (Hollande), le soir, nous partons en train jusqu’à Walsoorden où nous embarquons immédiatement en péniche à l’embouchure de l’Escaut. Nous voyageons sur le Rhin toute la nuit du 2 ainsi que les 2 journées qui suivent.
Nous débarquons le 5 à Emmerich (Allemagne). Le soir même, nous montons dans un train qui, roulant toute la nuit, nous mène au petit matin du 06 juillet au camp de Ziegenheim, un grand camp où il y a des prisonniers de toutes nationalités, des polonais, des belges, des hollandais, des britanniques et bien sûr, des français. » Cordialement,
Serge