Décidément l'année 40 a la côte en ce moment chez Economica.
Cet ouvrage est la transcription du colloque organisé par Economica le 14 janvier 2010 sur ce sujet ô combien polémique et qui fait couler beaucoup d'encre ces derniers temps, soit directement (Bernard Legoux, Jacques Belle), soit indirectement (l'équipe uchronique autour de Jacques Sapir).
J'ai décidé d'investir pour une trentaine d'euros à la lecture des intervenants : Max Schiavon, Paul Gaujac, Patrick Facon, Claude Huan, henri de Wailly, Elisabeth de Réau, Philippe Richardot, Jacques Belle, Gilles Ragache, Ciro Paoletti... Bref une palette de ce qui se fait de mieux sur le sujet. La plupart ont publié récemment et l'ouvrage est l'occasion d'avoir un résumé de leurs thèses.
Les contributions tentent de faire le point des thèses en présence et des dernières recherches historiques relatives à l'armistice signée par le gouvernement français le 18 juin 1940. Le plan s'organise en cinq parties :
I l'état des forces françaises en juin 1940 avec une mention spéciale sur les faiblesses de la marine marchande due à Claude Huan ;
II des analyses sur la situation politique intérieure et extérieure (positions allemandes, italiennes, anglaises) au moment des démarches d'armistice ;
III une 3e partie envisage les possibilités de poursuite de la guerre en AFN et en France métropolitaine.
IV Ces études sont complétées par des citations des principaux acteurs français, allemands et britanniques de l'époque pour dresser un tableau des perceptions des contemporains que l'on peut comparer aux
V positions et discours actuels avec une présentation critique des ouvrages récents avec une place importante et flatteuse accordée aux publications d'Economica..
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L'approche semble cohérente et plutôt bien menée ce qui est loin d'être toujours le cas dans ces recueils de colloque toujours prompts à être un inventaire d'interventions décousues. Mais à bien y regarder, on se rend compte que les intervenants se focalisent sur le contexte militaire et les possibilités de poursuite des combats oubliant que l'armistice a d'abord été un acte politique voulu par Pétain, 1er pas lui permettant de renverser la 3e République et de façonner son nouveau régime plus conforme à sa vision du monde et à ses valeurs. Pour Pétain, l'armistice était donc une étape indispensable pour "refonder" la France. Or de Pétain il n'est guère question dans cet ouvrage. il manque un intervenant de la trempe d'un Jean pierre Azéma, spécialiste de l'Histoire politique, pour aborder cette question incontournable et malheureusement contournée. Tout juste note-t-on page 205 que la nécessité de l'armistice a peut-être "procuré un alibi à ceux qui ont ensuite commis la faute parce qu'ils avaient d'autres objectifs -plus ou moins inavoués - que la survie immédiate du pays ?".
Le deuxième point faible de l'ouvrage est une corollaire inévitable des ouvrages collectifs, les interventions sont inégales en intérêt et en pertinence. A côté des historiens qui cherchent à comprendre et expliquer, on trouve des intervenants plus partisans comme Bernard Legoux qui défend la thèse de l'armistice indispensable et Jacques Belle pour qui il fallait poursuivre le combat.
Je n'ai pu résister à l'envie de commencer par lire la prose de Legoux dont les critiques avaient été incendiaires quand il avait publié son livre du même nom. C'est clair que ce monsieur défend une thèse éculée avec des arguments éculés (pour justifier l'armistice il cite des auteurs des années 60 aujourd'hui discrédités ou des contemporains tels... Pétain, Weygand et Darlan eux-mêmes !!!) : pour résumer l'armistice a permis de sauver la flotte, d'empêcher les Allemands d'envahir l'Espagne et conquérir l'Afrique du Nord... il ne va pas jusqu'à dire que cela a évité une victoire allemande de la 2e GM mais on fini par y penser, l'armistice a aussi protégé les populations françaises d'une oppression allemande dont il estime qu'elle aurait été comparable à l'occupation allemande dans les pays slaves (...n'a pas lu Mein Kampf, le monsieur), protégé les prisonniers de guerre et même sauvé les Juifs (...faire de Vichy, un bouclier contre l'antisémitisme, là encore l'auteur semble faire preuve d'une méconnaissance terrible de son sujet et en est resté à l'historiographie des années soixante prè-paxtonienne). Bref Pétain s'est sacrifié pour servir de bouclier pour les Français, pour les Juifs et pour les alliés... rien de moins !!! J'ajoute que, selon lui, en juin 40, l'effort de guerre français est paralysé par des vagues d'attentats communistes, attentats dont l'existence est niée par tous les historiens depuis trente ans hormis de très rares cas totalement anecdotiques (en fait je n'en ai qu'un en tête). Enfin, à défaut d'être sérieuse, ce pamphlet a au moins le mérite de détendre. A noter que de manière subtile, une critique de son ouvrage "l'armistice était indispensable" figure dans la 5e partie et permet de remettre les pendules à l'heure en mettant en évidence le caractère partisan de son propos et les limites de sa démonstration : "s'il poursuit la lecture, l'amateur de vérité historique se trouve vite devant une alternative : soit sourire en découvrant que les premiers résistants furent les membres de la délégation française à rethondes, soit éprouver perplexité et inquiétude" et de conclure "ne dressons pas à Bernard Legoux le procès en escroquerie intellectuelle qu'il rêve d'intenter à de Gaulle : il avait prévenu d'emblée n'être pas historien de profession. L'ouvrage est conforme : il n'y a nulle tromperie..."
Heureusement à côté de Legoux on retrouve des articles bien plus solides comme ceux de Claude Huan ou de Facon. Et l'ouvrage mérite pour eux un détour.
Au final que conclure, le livre vaut-il ses trente euros ? Sans doute pas pour ceux qui possèdent déjà les ouvrages des intervenants, pour les autres, ce livre est l'occasion d'en saisir un résumé.
Cordialement
Nicolas