Je suis lorrain, j'ai toujours vécu en Lorraine, j'ai 58 ans, je n'ai pas connu mon grand-père paternel.
L'histoire commence quelque mois avant le décès de mon père, 74 ans en septembre 2014.
Il m'avait parlé de mon grand-père paternel mais pour lui il s'agissait de souvenirs lourds à partager.
Il me disait quand j'étais enfant "un jour je t'expliquerai".
Devenu adulte il a commencé à m'expliquer toute sa vie.
Mon père est né en 1941 à Loudun, il était Poitevin, il avait 4 sœurs (deux sont décédées très jeunes pendant la Seconde guerre mondiale).
Ces 5 enfant étaient issus de la relation entre mon grand-père paternel et ma grand-mère paternelle, mais bien avant ça, je l'ai découvert au fil de mes recherches (10 ans de recherche je suis toujours dedans), mon grand-père fût marié avec une première épouse Noémie Ledru.
Ils ont eu une enfant qui est décédée très jeune en 1919. Ensuite il y a eu ma grand-mère avec qui il n'était pas marié, et ensuite il a eu une seconde épouse.
Avant son décès, mon père détenait des documents : une copie d'un article de presse où l'on parle de la carrière militaire de mon grand-père paternel, un autre extrait où il reçoit la Légion d'Honneur en 1953, un courrier où il écrit à mon père, une photo de lui de profil (c'est celle que j'ai mis sur mon profil), une photo de sa moto, une photo de ma grand-mère à côté de sa voiture avec les enfants, et 4 médailles de 14/18.
Donc mon papa avant son décès d’après ce peu de renseignements, il m'a demandé si je pouvais faire des recherches, lui ne sachant se servir d'internet (il avait fait des recherches lorsqu'il était plus jeune en sortant de la guerre d'Algérie).
Il avait revu son père, soit mon Grand-Père, en 1967 après des recherches auprès de l'administration lorsqu'il était en Algérie (je n'avais que 1 an) et il était gardien chef à la centrale thermique de Nantes-Cheviré. Ils ont échangé sur le passé, il était accompagné de ma mère et à cette époque mes parents vivaient à Créteil avant de s'installer plus tard en Lorraine.
Du fait que mon grand-père était remarié, c'était plus difficile pour lui de faire comprendre à sa seconde épouse qu'il avait eu plusieurs vies avant elle, et, en apprenant ceci, elle n'a pas accepté, ce qui est compréhensible, ce passé qui ressurgissait et qui n'était pas facile à admettre.
D'autant que ma grand-mère paternelle était déjà décédée à l'âge de 38 ans, en 1958 aux hôpitaux de Paris.
Mon grand-père n'avait pas reconnu les enfants, mais il était bien présent à la naissance de mon père, c'est écrit sur l'acte de naissance et signé de sa main et c'était le premier fils qu'il avait. Sur le courrier que je possède, il l'appelait mon petit Jacquot puisque mon père s'appelait Jacques.
Mon grand-père regrettait cette situation, mon grand-père et ma grand-mère étaient séparés et mon grand-père voulait lui expliquer en 1967 lorsqu'ils s'étaient revus. Mais mon père n'a pas laissé mon grand-père s'expliquer, je l'ai appris de la bouche de ma maman - elle me la dit au décès de mon père. Les années ont passé et le regret est apparu avec l'âge. Je pense que pour mon grand-père c'était pareil, l’écart des années a creusé un fossé immense, mon père ne savait pas où reposait son propre père et ne savait que peu de son parcours militaire. Ce fut le départ de mes recherches.
L'article de presse parle de la période 14/18 et 39/45, mais sur la copie de cet article conservée par mon père, avec les années certaines parties étaient illisibles. Avec une loupe j'ai essayé de lire et cela expliquait qu'il avait combattu dans la Marne, Ypres et Verdun en 14/18, qu'il était titulaire de 18 décorations, moniteur pilote du constructeur d'avions Maurice Farman et l'autre partie du récit raconté par mon grand-père au journaliste concernait sa période au maquis.
C'est mentionné qu'il lui avait été donné l'ordre de former des résistants dans le sud-ouest Vienne et une partie que j'ai découverte ensuite dans l'article concernait la boxe : il était l'entraineur de Robert Charron qui a combattu contre Marcel Cerdan dans les années 1950. Il l'avait pris sous son aile pour le former et il l'a emmené jusque au premier contrat professionnel. Donc pour découvrir la suite de l'article, il y avait une date avec le nom du journal daté de 1965.
La page correspondait au journal ouest-france Nantes/ville Banlieue 24 août, et 1965 écrit à la main.
Je décide donc d'écrire au journal et ensuite j'ai contacté une responsable au téléphone qui gère les archives.
Je lui explique toutes les recherches et le motif de ma demande de copie intégrale de cette page.
Malheureusement après leurs recherches internes pour l'année, je reçois un mail m'indiquant que rien n'avait été retrouvé.
Je contacte de nouveau ce journal, pour demander d'étendre la recherche aux années 1963 et 1964.
Après quelques temps, je reçois un mail me confirmant qu'il s'agit de l'année 1964 !
J'ai reçu suite à ma demande une copie de la page au format original et un fichier au format pdf de la page est encadrée dans mon salon.
Ainsi je découvre le reste de sa vie et que je continue mes recherches pour savoir où il repose, puisque durant sa vie il avait vécu à plusieurs endroits en France.
Je retrouve des adresses sur sa fiche matricule, et dans l'article de presse et par conséquent j'ai pu obtenir le lieu de sa sépulture.
Après de nombreuses démarches téléphoniques, mails, sur Internet, je contacte la commune de Sanxay (Vienne) où il vivait avec Noémie Ledru et il avait repris la ferblanterie de son beau-père à Sanxay. Il était le gendre successeur, dans l'article de presse il était écrit que Noémie était décédée des suites de son incarcération puisque mon grand-père était dans le maquis et sur l'article il était écrit que les allemands voulaient sa tête, soit celle du
Commandant Maurice.
Je ne comprenais pas encore toute l'histoire puisque il me manquait encore beaucoup d'éléments.
J'ai pris contact avec la mairie de Sanxay et la dame que j'avais eu au téléphone me dit "je crois qu'il y a une personne de ce nom dans le cimetière communal, mais pour le moment je n'ai pas le temps, je dois partir en vacances, je vous tiendrais informé à mon retour."
3 semaines plus tard coup de téléphone : mon grand-père paternel repose bien dans ce cimetière. Quelle nouvelle ! Puisque mon père était encore en vie, il me dit souhaiter s'y rendre en ma compagnie dès que son état de santé se serait amélioré !
Malheureusement pour lui et pour moi la maladie l'a emporté avant qu'il ne découvre tout. Au décès de mon père, je me suis juré de ne rien lâcher et de continuer à chercher et à partager ce devoir de mémoire d'une importance capitale pour les jeunes générations.
En 2015 je décide avec mon épouse de prendre des vacances en Vendée et d'en profiter pour aller dans la famille dans les Deux-Sèvres et d'aller sur la tombe de mon grand-père, c'est là que tout s'éclaire : on cherche dans le cimetière, on finit par trouver la tombe très ancienne où, surprise, il repose au côté de sa première épouse, de sa première fille et de ses beaux-parents.
C'est un caveau familial et plus loin dans le cimetière (j'avais appris par un forum qu'il avait eu une seconde épouse)
En repartant du cimetière mon épouse m'appelle, elle voit une tombe toute simple avec le nom et prénom, je savais aussi qu'elle avait eu deux enfants, je ne vous cache pas que ce moment fût relativement difficile et empli d'émotion et de ne pas avoir mon père à mes côté pour découvrir toute cette vie tragique et pleine de surprises.
C'était difficile, en repartant on passe devant l'église du village de Sanxay et on aperçoit une stèle d'un monument au mort représentant un poilu et il était peint en bleu horizon comme l'étaient les poilus à l'époque.
Chose rare, je n'avais encore jamais vu une stèle peinte de la sorte, je me dis "attends on s'arrête je prends des photos" et ma femme m’interpella, elle me dit "viens voir, il y a une plaque sur le mur de l'église". Elle se trouve un peu en retrait de la stèle et il est écrit " ce jour où Sanxay fût sur le point de devenir un second Oradour-Sur-Glane", et je vois deux noms et prénoms : Carlouet Adrien, maire du village à l'époque et le curé Delavault François.
Je dis à ma femme "ces deux noms me rappellent quelque chose, il faudra que je vérifie lorsque l'on sera rentrés de vacances".
Chose faite 15 jours plus tard, je retrouve dans le second article de presse où il reçoit la Légion d'honneur en 1953 au titre de 14/18, que deux personnes présentes ce jour-là lors de la remise de la LH sont, Adrien Carlouet le maire, et le curé François Delavault.
Je commence à taper sur internet Sanxay et je retrouve cette date du 12 août 1944, mentionnée sur la plaque. Je découvre des commémorations et suivi ensuite par un autre article, avec un récit raconté par un homme qui à l'époque avait 15 ans et qui retrace cette journée du 12 août 1944.
Je me suis dit "mon article de presse, les dates, mon grand-père doit y être pour quelque chose", je finis par trouver des noms et une personne qui est président de l'ONAC de Sanxay et son numéro de téléphone que je décide d'appeler malgré une fin de non recevoir.
Je suis déterminé à comprendre et à chercher, ça répond et on échange et j'explique tout : pourquoi j'appelle et j'explique les raisons de mes recherches.
La personne attentive me révèle avoir connu mon grand-père, qu'il était un sportif vélo et football, mais rien de plus.
Cette personne dit qu'elle va me faire parvenir le récit de M Fournier Gérard, la personne qui raconte ce 12 août 1944 en me demandant en échange de lui faire parvenir des copies des documents que je possède.
Dans la semaine qui suit je reçois le courrier que je m'empresse d'ouvrir et de lire.
J'apprends que quelques jours avant ce 12 août 1944, les maquis étaient actif, mais dans Sanxay ça faisait 3 fois que les allemands venaient sachant l'existence d'un maquis.
Maurice, mon grand-père était très actif et quelques jours plus tôt, il avait tué 4 officiers dans la période du 8/10/11/12 août 1944.
Il y eut plusieurs attaques du maquis, 8 tués (un groupe de cyclistes allemands, un milicien, des armes prises, avec des véhicules dont un camion).
Les habitants se sont retrouvés ce 12 août 1944 sur la place du village au nombre de 460 personnes, les allemands ayant fait sortir tous les habitants. Les Allemands savaient que des hommes du maquis se cachaient dans le village et ils voulaient savoir où ils se cachaient. Les allemands étaient violemment excités et mettront en batterie une mitrailleuse sur place.
Un capitaine autrichien vint leur dire "si les troupes allemandes doivent revenir : kaput tout le monde".
Le maire de cette ville, Carlouet, est arrêté par les Allemands ainsi que le curé Delavault, ainsi que la première épouse de mon grand-père Noémie. Les Allemands savaient que mon grand-père était le commandant du maquis comme d'autres personnes mentionnées dans l'article de presse en ma possession. Sur celui-ci, il est écrit que Noémie est décédée des suites de son incarcération, sur la date de décès sur le plaque de la tombe c'est écrit 1946, ce qui correspond à ce qui est écrit dans la page du journal, et son récit. Et cela correspond avec le récit de M Fournier, et un des 3 récits que j'ai découverts bien plus tard sur VRID mémorial le site concernant la résistance dans la Vienne.
Ce 3ème récit correspond aux 2 autres à quelques mots près et c'est le curé François Delavault qui le raconte ce 12 août 1944. Ces archives se trouvent au diocèse à Poitiers.
Ensuite au fil des années, je découvre un site concernant l'aviation 14/18 où mon grand-père est mentionné. Il était pilote et je vois qu'il reçoit la croix de guerre 39/45 avec une palme de bronze pour des faits qui se sont déroulés à Vasles (Deux-Sévres) le 25 août 1944.
J'en déduis que le maquis de mon grand-père était de nouveau actif au jour du 25 août 1944 face au détachement Allemand de 1100 hommes stationné à Vasles.
Dans les archives de mémoires des hommes il y a le dossier du maquis Maurice.
Mon grand-père paternel est né le 3 juin 1895 à Saint-Savin-Sur-Gartempe (Vienne 86).
Ils étaient 4 frères, mon grand-père s'appelait Maurice Georges Evariste Bache recrutement Poitiers- Le Blanc classe 1915, engagé volontaire au 20éme RAC à partir de 1913, et lors de la mobilisation du 2 août 1914, il est toujours dans cette unité.
Il est déjà cité le 7 septembre 1914, nommé brigadier le 15 septembre 1914, et affecté ensuite au 32ème RAC
Nommé Maréchal des Logis le 8 février 1915, il est blessé en 1915 le 19 février en Belgique.
Toujours en Belgique, blessé le 1er mars 1915, il est cité à l'ordre du régiment le 2 mars 1915.
Il part en renfort du 17 juillet 1915 au 11 février 1916 où il est de nouveau blessé le 16 septembre 1915.
Il est intoxiqué par les gaz à Douaumont le 24 octobre 1916 lors de la reprise du fort par les Français, toujours aux effectifs du 32ème RAC.
Cité à l'ordre du régiment le 31 août 1916, il est projeté en l'air par l'éclatement d'un obus à Verdun le 12 avril 1917 et obtient une citation à l'ordre de l'armée le 24 avril 1917.
En convalescence, il passe le 11 octobre 1917 à l'aéronautique comme élève pilote et obtient son brevet le 2 février 1918 à l'école d’aviation militaire d'Ambérieu.
Il effectue des stages de bombardement de nuit aux écoles du Crotoy et d'Avord.
Il est ensuite intégré à l'escadrille CAP130 de décembre 1918 au 12 février 1919.
Affecté ensuite au 5éme groupe d'aérostiers, aéronautique, en 1926.
Revenu à la vie civile de 1934 à 1939, il s'engage de nouveau et rejoint le 109ème bataillon de l'air à Tours à partir du 15 avril 1940.
A partir de 1941, il se voit confier la formation de résistants dans le sud-ouest de la Vienne, commandant du maquis Maurice sur le plan départemental (effectif 127 hommes), Bataillon Noel liste Taillade, actif sur Parthenay, Sanxay, Lencroitre, Lusignan et la ligne Poitiers/Niort.
A la libération de Poitiers, mon grand-père rejoint les combattants de la poche de la Rochelle avec le 125ème RI jusqu'en mars 1945.
Mon grand-père paternel est titulaire de 18 décorations :
- Légion d'honneur au titre de 14/18 reçue en 1953
- Croix de guerre 14/18 avec deux palmes de bronze, une étoile de bronze et une étoile d'argent
- Croix de guerre 39/45 avec une étoile de bronze reçue pour les faits de Vasles le 25 août 1944
- Médaille militaire
- Croix de Saint-Georges de 4ème classe en argent
- Vertu militaire Roumaine (une seule décernée par division)
- Médaille Commémorative de la Marne
- Médaille Commémorative de Verdun
- Médaille Commémorative de l'Yser
- Médaille des engagés volontaires 14/18
- Médaille des engagés volontaires 39/45
- Médaille de la libération
- Médaille Commémorative Interalliée 14/18
- Insigne des Blessés militaires
- Médaille Commémorative 39/45
- Médaille de la résistance
- Médaille des anciens combattants
Gazé, cinq fois blessés, six fois cité, voilà pour le récit de mon grand-père paternel, un grand hommes dont je suis très fier !
Médaille de la Vertu Militaire Roumaine face recto (une seule décernée par division)
Médaille de la Vertu Militaire Roumaine face verso
Médaille Militaire face recto
Médaille Militaire face verso
Croix de Saint-Georges de 4ème classe en Argent face recto
Croix de Saint-Georges de 4ème classe en Argent face verso
Croix de Guerre 14/18 face recto
Croix de Guerre 14/18 face verso
Fiche Matricule
Photo lorsqu'il est aviateur à Vaucouleurs (Meuse)
Photo lorsqu'il est aviateur à Vaucouleurs (Meuse)
Mon grand-père paternel en tenue d'aviateur avec les 4 médailles sur le torse (ce sont celles en photos que j'ai postées) on y voit aussi son brevet de pilote du côté gauche.
Photos google maps du terrain d'aviation de Vaucouleur (CAP 130)
Article de presse
Page au format original que j'ai demandée au journal, je l'ai chez moi dans un cadre
Photo de profil de mon grand-père paternel
Dossier de mon grand-père dans le maquis
Remise de la Légion d'Honneur en 1953 au titre de 14/18 à Sanxay
Plaque sur le mur de l'église à Sanxay
Copie d'écran des commémorations du 12 aout 1944 à Sanxay
Stèle à Vaugeton concernant Georges François maquisard exécuté par les allemands
Plaque sur le mur de l'église à Vasles
Dossier du Maquis Maurice (Mémoire des hommes)
Le même écrit se trouve sur le forum Maquisard de France sous mon autre pseudo Commandant Maurice, bonne lecture à tous.