La bataille Gien - 15 au 19 juin 1940
" Depuis quelques jours, des voitures, des vélos, des équipages de toute nature venant des Pays-Bas, de Belgique, du Nord de la France, déferlent sur la ville de Gien pour passer le pont. Le 14 juin 1940, la nouvelle arrive à Gien : Paris est sous la botte allemande, deux millions de Parisiens grossissent le flot des réfugiés. Devant la réalité de l'exode, une vive émotion s'empare de la population giennoise. Le maire, Pierre Dézarnaulds, est en relation avec le préfet qui lui assure que « Gien n'est pas menacé, il ne sera pas évacué… ». À 17 h 30, la gendarmerie évacue ; à 19 heures, la caserne se replie.
De son propre chef, le docteur Dézarnaulds fait évacuer les malades et vieillards de l'hôpital. À 22h00, l'ordre d'évacuer arrive enfin mais il ne reste plus qu'un seul car disponible à la compagnie Vatan… Toute la nuit, le maire fait de son mieux pour alerter la population en essayant d'éviter la panique.
Le
samedi 15 Juin, vers 5h00 du matin, les personnels du téléphone, maintenus à leur poste pour assurer les communications nécessaires à l'État-major siégeant à Briare, reçoivent l'ordre d'évacuer.
À 12h15, dans l'hôpital qu'il dirige, le maire reçoit la visite du général Morin qui lui reproche d'avoir organisé l'évacuation : « Gien ne risque rien, c'est folie d'avoir provoqué la panique chez les habitants. »
La discussion, qui commence à s'envenimer sérieusement, se trouve calmée à 12h30 par un fracas épouvantable. 12 bombardiers allemands protégés par 6 avions de chasse larguent les premières bombes sur la ville.
Les vitres de l'hôpital volent en éclat, une bombe est tombée à quelques mètres, une autre sur la nef de l'église, une autre avenue de la République… Le général Morin prend congé en disant : « Vous aviez peut-être raison ». La bataille de Gien commence.
Les bombes tombent sur l'église du château. Une partie du presbytère s'effondre. Un autre projectile tombe dans la cour du château tuant 19 vieillards qui attendaient le bus qui devait les évacuer.
D'autres bombes s'écrasent rue Jules Michaud, incendiant 3 autos, tuant 1 personne et en blessant 5 autres. Avenue de la République, 2 immeubles sont détruits, avenue Wilson, rue Jeanne d'Arc, rue Paul Bert, rue Victor Hugo, 2 projectiles atteignent l'un l'hôtel de l'Ecu et l'autre la Société Générale.
Sur le pont du chemin de fer d'Argent, faisant à chaque explosion des morts et des blessés. D’ autres encore pulvérisent une ambulance militaire chargée de blessés.
La bombe qui tombe devant le restaurant Beaubois est l'une des plus grosses de toutes celles qui s'écrasent sur la ville. Elle fait dans la chaussée un trou de près de 3 mètres de profondeur, une vielle dame roule au fond et y reste sans vie.
Pendant ce temps une foule énorme d'hommes de femmes d'enfants de soldats sans ordres déferlent par l'avenue Wilson, l'avenue de la République, la gare vers le pont qui est encombré. Les giennois en fuite se mêlent à tous ces exilés.
Ce même jour en fin de journée les bombardiers allemands reviennent et visent le pont. Un des projectiles parvient à détruire le parapet du dernier pilastre à l'entrée du faubourg du Berry.
On peut évaluer à plus de 66 le nombre connus des morts de cette première journée et à 150 environs le nombre de blessés.
Pendant toute la
nuit du samedi au dimanche, l'exode continu, toutes les routes aboutissants à Gien sont couvertes de convois de réfugiés. Franchir la Loire tel est le but unique de toute cette foule. Certains essayent de traverser la Loire à la nage et sont engloutis les uns après les autres.
La faim et la soif tenaille tous ces exilés, la chaleur est torride et l'eau manque ils essayent par tous les moyens de pénétrer dans les maisons avec l'espoir d'y trouver de la boisson et de la nourriture.
Dimanche 16 juin les bombardements par avions se succèdent toute la journée.
Sur le pont et sur les quais, ce ne sont qu'encombrements, blocages et ralentissements, avec leurs lots habituel des affres de la nature humaine, actes d'héroïsme et de solidarité pour les uns, actes d'égoïsme et de lâcheté pour les autres, et souvent pour chacun, les deux mêlés…
Vers 15h30 l'hôpital prend feu, l'incendie se propage à tout le quartier. Une grosse bombe tombe place aux Herbes, et 2 autres sur les immeubles voisins des Nouvelles Galeries. Le quartier du pont est particulièrement visé. Place du pont, le spectacle est effrayant, des hommes, des femmes et des enfants gisent à terre dans des mares de sang, au milieu de débris de toute sorte, des cadavres de chiens, de chevaux et des voitures carbonisés.
Les soldats de la 23ème Division d'infanterie avec les hommes du 32ème Régiment d'infanterie arrivent à Gien dans la matinée du dimanche, ils sont chargés de la défense de la Loire.
Mais l'armée allemande approche et débouche par le nord de Gien en fin d'après midi. Sur la route d'Orléans, un important convoi militaire qui comprend de nombreuses voitures sanitaires accompagnant les troupes françaises se dirige vers Gien. Un régiment de tirailleurs sénégalais forme l'avant garde.
Les soldats prennent position, on forme un rideau défensif. Les morts qui s'entassent sur le pont et sur les quais sont jetés dans la Loire, ou recouverts de bâches. Il y en a plus d'une centaine.
Réfugiés et soldats continuent à traverser la ville livrée au pillage. En fin de journée les bombes incendiaires s'abattent sur le quartier du pont. Les maisons par paquets s'effondrent dans les flammes.
Partout des restes de voitures calcinées, des charrettes pulvérisées, des chevaux tués et des cadavres empilés à la hâte. Les maisons qui flambent illuminent tout cela sinistrement.
Le
Lundi 17 Juin le maréchal Pétain demande l'armistice à l'Allemagne.
Les routes autour de Gien sont de plus en plus embouteillées par d'interminables colonnes de réfugiés et par les convois militaires. La bataille est imminente.
Les avions allemands plongent sur Gien en vague successives. Sur le quai Joffre 6 autos flambent. L'église Saint Louis s'embrase à son tour. Les vitraux claquent comme des coups de fusils. Le clocheton au dessus de l'horloge sombre dans la fournaise.
Pendant que toutes les troupes françaises prennent position, les détachements s'efforcent de contenir l'avancée de l’ennemi autour de Gien. Beaucoup de soldats tombent mais leurs camarades continuent de tirer sur les blindés qui n'osent plus s'avancer. Plus de 40 soldats français tués au cours de cette bataille. Mais ce combat inégal prend fin et les mitrailleurs français se replient vers Gien où sont leurs camarades.
Les allemands pénètrent dans Gien, les combats font rage dans la vieille ville, les soldats français défendent les ponts. Les tirailleurs sénégalais embusqués dans les rues étroites se battent à la grenade et au coupe-coupe.
Les soldats du 32ème régiment d'infanterie résistent courageusement à l'assaut des troupes allemandes qui tentent de traverser le pont et les forcent au repli.
Mais à 20h15 le commandant de la 3ème division du 32ème régiment d'infanterie donne l'ordre de faire sauter le pont afin de retarder les troupes allemandes et d'épargner une captivité probable à ses hommes. En ville, militaire et civils se battent contre un ennemi mieux équipé.
Dans la soirée du 17 juin, la 2ème compagnie du 32ème régiment d'infanterie a pour mission de défendre le pont du chemin de fer. Les réfugiés ne pouvant plus passer sur le pont de pierre, prennent d'assaut le viaduc. Vers minuit une gerbe de feu jaillit au dessus du fleuve suivie d'une formidable explosion. Le pont du chemin de fer vient de sauter à son tour.
Toute la nuit on entend les mitrailleuses lourdes dont les balles traçantes dessinent des arabesques comme des étoiles filantes dans le ciel sinistre. Au vacarme terrible des centaines d'obus qui s'abattent sur la ville, se mêlent les appels déchirants des blessés et les cris de terreur des réfugiés bloqués dans Gien.
Toute la journée du
mardi 18 Juin les combats reprennent, les allemands essayent de passer un par un sur le parapet gauche du pont encore en place mais ils sont repoussés. Vers 18h00 l'artillerie lourde française s'est tue, les derniers obus tombent sur Gien qui n'est plus qu'un amas de ruines en proie aux flammes.
L’ordre de replis est donné, les soldats du 32è régiment d'infanterie quittent les bords de la Loire qu'ils ont si courageusement défendu.
Le
mercredi 19 Juin vers 4h00 du matin les allemands franchissent la Loire sur un pont de bateaux, la bataille se termine.
Des hommes et des femmes sortent des décombres, affamés et épuisés. Ils veulent quitter cette cité maudite, seul une vingtaine de giennois restent sur place. A la caserne, 3.000 soldats sont rassemblés, ils sont prisonniers. La Ortskommandantur est déjà installée au 8 avenue Wilson, Gien est occupé par les allemands.
Il est 21h30 quand le château s'embrase, la charpente est en flamme. Un orage éclate et la pluie torrentielle éteint le feu. Toute la partie de la ville adossée au château et le centre commerçant sont détruits. "
Source : Exposé du docteur Dézarnaulds lors du 1er conseil municipal après ces jours de Juin 1940.
PS : Vous trouverez plus d'infos sur les combats dans le Loiret et pour la défense de la Loire sur le forum ci dessous :http://loiret3945.forumgratuit.org/forum